Pourquoi la CPI s’en prend-elle si souvent aux Africains ?

A la fin du mois d’octobre, le Burundi a quitté la Cour Pénale Internationale (CPI). Faut-il s’en étonner ? Il y a vingt ans, le juriste italien Antonio Cassese faisait l’éloge de la justice pénale internationale, préférable

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Par Léonard Colomba-Petteng.

Pourquoi la Cour Pénale Internationale s’en prend-elle si souvent aux Africains ?

 A la fin du mois d’octobre, le Burundi a quitté la Cour Pénale Internationale (CPI). Faut-il s’en étonner ? Il y a vingt ans, le juriste italien Antonio Cassese faisait l’éloge de la justice pénale internationale, préférable selon lui à la revanche, à l’oubli, à l’amnistie. Préférable également à la justice nationale afin de préserver la paix et empêcher que des atrocités ne soient reproduites. Cette justice pénale internationale devait être garantie par un organe parfaitement impartial, totalement indépendant, libre de toute intervention politique. On comprend alors les espoirs placés dans la Cour Pénale Internationale (CPI) à sa mise en place le 1er janvier 2002. Comment comprendre que le Burundi revienne sur son engagement envers la CPI ? L’an dernier, une vague de défections d’Etats africains avait été annoncée en vertu de l’article 127 du Statut de Rome, permettant à tout membre de se retirer par une simple notification au Secrétaire Général des Nations Unies. La CPI est accusée de partialité dans les décisions rendues, ciblant tout particulièrement des responsables africains – pour ne pas dire des Noirs.

Mais ces critiques formulées à l’endroit de la CPI sont-elles fondées ? D’un côté il peut sembler légitime de vouloir lutter contre l’impunité des responsables agissant à l’encontre du des droits humains les plus fondamentaux. Mais on ne peut ignorer la difficulté mise en exergue par le juriste Juan Branco de porter les responsables devant la CPI aussi puissants soient-ils. Au fond, ces critiques envers la CPI de la part d’Etats africains engage une réflexion profonde sur l’idée même d’une justice pénale qui prétend à l’universalité.

Juger les politiques, une bonne idée ?

Historiquement, l’idée de porter des responsables politiques devant des juridictions pénales est récente. En 1872, Gustave Moynier émettait l’idée de juger les responsables politiques ayant violé le droit international humanitaire lors de la guerre franco-prussienne. Avec des succès différents, l’article 227 du Traité de Versailles de 1919, puis le Tribunal de Nuremberg de 1945, et enfin les Tribunaux Pénaux Internationaux pour le Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie ont permis un mouvement en ce sens. En 1998, le Statut de Rome est signé et ratifié par deux tiers des Etats reconnus par l’ONU, dont une majorité d’Etats africains. Dans le contexte particulier des années 1990 et de la rhétorique sur la “bonne gouvernance”, les gouvernements africains en quête de légitimité internationale ne peuvent se permettre de se tenir à l’écart de ce traité. La CPI prétend alors juger tout responsable de crimes d’agression, de guerre, de génocide et de crimes contre l’humanité.

Pourtant, un simple constat statistique révèle que les responsables africains sont quasiment les seuls à avoir été inquiétés depuis 2002. Le premier condamné est Africain. Sur les dix enquêtes en cours, neuf concernent des Africains. Toutes les condamnations à réparations concernent des Africains. Tous les détenus de La Haye sont Africains. Cependant il faut aller au-delà de ce constat. Rappelons encore que  les Etats africains représentent près d’un quart des Etats parties au Statut de Rome. De plus, dans la majorité des cas les Etats concernés ont eux-mêmes fait appel à la CPI (Ouganda, RDC, RCA). Le politiste David Crane formule l’hypothèse, discutable, d’une violence plus présente en Afrique qu’ailleurs. Pour ces raisons, les Africains seraient de facto davantage représentés dans les affaires traitées par la CPI.

Si les atrocités dont il est question ont bien eu lieu, encore faut-il que les responsabilités pénales soient rigoureusement réparties. Le juriste Juan Branco révèle par exemple que dans l’affaire Katanga, aucun enquêteur de la CPI n’a “mis les pieds” dans le village dans lequel les crimes ont été commis, délégant ce travail à des ONG. On pourra également contester certaines qualifications des crimes retenues par la CPI. Pour Branco, la notion même de crime contre l’humanité – dont l’invention juridique est historiquement et géographiquement située, donc pas si universelle – a été dévoyée par la CPI. Peut-on qualifier sous un même terme juridique l’extermination planifiée et systématique de 40% des juifs du monde, et l’assassinat de soixante habitants du village de Bogoro en RDC dans l’affaire Katanga ? Plus largement, Anne-Charlotte Martineau montre que le corpus de textes, de principes et de pratiques qui régissent le droit pénal international contemporain – dont les nombreuses formules latines révèlent l’origine – ont été créés dans un contexte colonial afin d’encadrer les échanges entre l’Europe et le Nouveau-Monde.

La Cour Pénale Internationale, vecteur de domination néocoloniale ?

Cette prise de position peut être dangereuse et décrédibilisée dès lors qu’elle participe de la rhétorique complotiste formulée par des responsables politiques autoritaires qui ont tout intérêt à dénigrer l’action de la CPI. Il faut distinguer d’une part la demande de justice légitime des populations africaines victimes des violations du jus cogens, et d’autre part l’ambiguïté du discours émancipateur d’un Jean Ping porté à la tribune de l’Union Africaine – organisation dont il faut rappeler le  financement à hauteur de plus de 90% par des puissances occidentales.

Outre ces objections, les défaillances de la CPI peuvent être analysées à l’aune du débat de relations internationales plus large qui oppose traditionnellement les libéraux et les réalistes. Les libéraux prendront pour excuse la jeunesse de la CPI. Ils montreront que des enquêtes préliminaires de la Cour concernent des personnalités afghane, colombienne, cambodgienne, ukrainienne, palestinienne. Ainsi, les défaillances de la CPI devraient être outrepassées par davantage de complémentarité et de coopération entre États, afin de pallier un problème fondamental : l’absence d’une force de police internationale. “La justice sans la force est impuissante” nous enseigne Blaise Pascal.

Dans une approche réaliste, les défaillances de la CPI sont imputables à un système international dans lequel les Etats sont les véritables maîtres du jeu international. Pour le théoricien des Relations internationales John Mearsheimer, le monde est avant tout composé d’Etats qui cherchent à faire valoir leurs intérêts au mépris de considérations juridiques ou morales. Ainsi on pourra mettre en parallèle le Hague Invasion Act étasunien de 2002 et la résolution de Kenyatta adoptée par l’UA le 31 janvier 2016 qui visent toutes deux à limiter la coopération entre des Etats souverains et la CPI. La CPI ne paraît donc pas outillée pour s’attaquer aux responsables des Etats les plus puissants. Pourtant on pourrait légitimement imaginer des poursuites pénales envers Vladimir Poutine (crimes de guerres en Tchétchénie), Hu Jintao (un débat sur un crime de génocide au Tibet existe), ou George W. Bush (crime d’agression contre l’Irak).

La CPI : des ambitions en décalage avec le système international

Pour exister la CPI doit néanmoins rendre des décisions. Il s’agirait dès lors de s’attaquer à des personnalités faibles, déchues et souvent très peu connues des populations africaines elles-mêmes, afin de faire vivre le Statut de Rome. La nomination de la Gambienne Fatou Bensouda comme procureur de la CPI n’a pas suffi à dissiper les accusations d’afro-obsession. Juan Branco fustige de surcroît la décoration de la salle d’audience de la CPI, qui se veut neutre et aseptisée car universelle, et qui ressemble en définitive à un “Apple Store”. Ceci révèle qu’il n’y a finalement pas tant de symboles incarnant la justice universelle. Le juriste Carl Schmitt voyait dans le droit international un vecteur de diffusion des valeurs libérales et des intérêts commerciaux américains et britanniques.

Par ailleurs, le Conseil de Sécurité a saisi la CPI à deux reprises, en vertu de l’article 13 (b) du Statut de Rome. Ces deux saisines posent questions, en cela qu’elles étaient dirigée contre Kadhafi et El-Béchir dont les États n’ont pas ratifié le Statut de Rome. La CPI serait ainsi instrumentalisée par les puissants afin de dé-légitimer des “dirigeants-voyous”. Carl Schmitt s’oppose au processus de “criminalisation de l’ennemi” qu’il considère comme dangereux. Pour Schmitt, la fonction même du Souverain politique est de désigner l’ennemi, l’hostis, en situation exceptionnelle. Or, la CPI en choisissant comme hostis mondial un Kadhafi et un El-Béchir (en lieu et place d’un George Bush ou d’un Vladimir Poutine par exemple) supplante le rôle du Souverain politique. Par ailleurs, l’accusation de “crime contre l’humanité” est un moyen de s’accaparer et de monopoliser l’idée même d’humanité et de la refuser à l’ennemi désigné. La criminalisation de l’ennemi, comme la recherche d’un universel juridique va à l’encontre de ce qui fait la différence entre les communautés politiques; c’est abolir la Politique selon Schmitt. Il faudrait donc une justice pénale qui ne soit pas universelle mais qui irait dans le sens d’une pluralité des espaces de droit, un pluriversum.

Pour Hans Kelsen, ce qui est au coeur du Politique c’est au contraire la recherche de la paix. Celle-ci ne peut passer que par la primauté de l’ordre juridique international sur le droit national. Le droit doit servir d’outil privilégié contre l’impunité et contre la guerre dans un même espace : un universum. Contre le projet stato-centré de Schmitt, Kelsen défend le projet cosmopolitique d’une civitas gentium maxima dont parlait Wolff. Or l’architecture onusienne est basée non sur un organe juridique, mais politique. Ceci pose problème dans une approche kelsenienne. « Les fondations de toute organisation juridique comme de toute communauté juridique, c’est la juridiction » nous dit Kelsen. La CPI et la CIJ devraient être les pivots de l’ordre international, au détriment du Conseil de Sécurité.

Le problème de la CPI pourrait ainsi résider dans le manque de cohérence entre la justice pénale internationale souhaitée et le système international tel qu’il existe. La criminalisation de l’ennemi participe d’un rapport de force entre des Etats puissants qui s’appuient pour cela sur la CPI, alors même que cette juridiction devait servir un projet de “Super-Etat” au sens technico-juridique souhaité par Hans Kelsen.

En mai 2016, la “chambre africaine extraordinaire” de l’Union Africaine a prononcé une peine de réclusion à perpétuité pour les crimes commis par Hissène Habré lorsqu’il était président du Tchad. Dans le système international actuel, la “compétence pénale régionale” pourrait peut-être pallier ce problème de cohérence d’une justice pénale qui prétend à l’universalité.

 

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